Les entreprises qui engagent régulièrement
des artistes et des techniciens dans le cadre de contrats
dusage doivent savoir que le jour où elle se
séparent de ces collaborateurs, elles encourent le
risque de voir la relation de travail requalifiée en
contrat à durée indéterminée.
Le fait que ces salariés soient déclarés
comme demandeur demplois dans le cadre des annexes spectacles
nest daucune incidence sur la nature de la relation
de travail. Nous ne répéterons jamais assez
quil nexiste pas de contrat dintermittent.
La Cour de cassation sest récemment prononcée
sur un certain nombre daffaires de ce type, ce qui nous
donne loccasion de faire le point.
Laffaire AB productions, une solution
classique
Deux comédiens ont saisi la société
AB production devant la juridiction prudhomale, en demandant
la requalification de leurs CDD (contrat à durée
déterminée) en CDI (contrat à durée
indéterminée).
Il sagissait dans le premier cas de 256 CDD séchelonnant
davril 1991 à décembre 1996, et dans le
second cas de 426 CDD séchelonnant de mars 1990
à juillet 1997.
Les comédiens avançaient que la société
AB avait fait un usage abusif du CDD qui devait être
requalifié en CDI, et que la rupture du contrat devait
sanalyser en un licenciement sans cause réelle
et sérieuse. Le conseil de prudhommes a accueilli
les demandes et la société AB a fait appel de
la décision (1).
Elle a alors invoqué que lemploi dartiste
interprète étant par nature temporaire, il est
dusage constant dans le secteur de laudiovisuel
de ne pas recourir au CDI et que les contrats litigieux étaient
en conséquence conformes à la législation.
LUSPA (Union Syndicale de la Production Audiovisuelle)
est intervenue volontairement pour soutenir la Société
AB. La Cour dappel a affirmé quau vu du
Code du travail (2),
des CDD peuvent être conclu dans le secteur de laudiovisuel
lorsquil sagit de pourvoir des emplois pour lesquels
il est dusage constant de ne pas recourir à des
CDI en raison de la nature de lactivité exercée
et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
Puis, elle ajoute que " même si les sociétés
concernées avaient une activité permanente de
production de séries télévisuelles, lemploi
dacteur chargé dy interpréter un
rôle, même récurrent, a forcément
une nature temporaire puisque ses apparitions dépendent
de la volonté du scénariste ". La Cour
conclut enfin que le bien fondé du recours à
ce type de convention doit être apprécié
au regard des règles posées en la matière
par le code du travail et la convention collective applicable
(3), et qu en lespèce,
ni la loi ni la convention collective ne permettent de conclure
au mal fondé du recours à des CDD. La Cour de
cassation (4)
casse larrêt Cour dappel dans son
audience du 6 mai 2003 au motif que " les salariés
avaient été engagés dans plusieurs séries
télévisées en sorte que leur emploi,
quils avaient occupé de manière continue
pendant plus de cinq années et qui était lié
à lactivité normale de lentreprise,
avait un caractère permanent "
Dans un tel cas, le producteur aurait dû conclure un
contrat à temps partiel annualisé, aujourdhui
appelé contrat intermittent. Il sagit alors dun
Contrat à durée indéterminée.
Le problème, cest que les salariés rechignent
à accepter ce type de contrats qui les font sortir
de lannexe 10 du régime assedic.
Il est également possible dengager lartiste
dans le cadre dun contrat de chantier, contrat conclu
en application de larticle L 321-12 du Code du travail.
On désigne par contrat de chantier le contrat conclu
pour une durée indéterminée dont la cause
de rupture est déterminée dès l'origine.
Il en est notamment ainsi d'un salarié embauché
pour la réalisation d'une encyclopédie ou d'une
collection par un employeur qui ne connaît pas dès
l'origine la durée de travail nécessaire à
la bonne exécution de la tâche. Par contre, la
durée du contrat dépend largement de la volonté
de l'employeur, puisqu'il dépend de lui de consacrer
plus ou moins de moyens à la réalisation du
travail ou de publier plus ou moins de numéros et d'interrompre
éventuellement la publication ou la production. Le
contrat est donc considéré comme étant
à durée indéterminée, puisque
le terme du contrat n'est pas indépendant de la volonté
des parties. Dans ce cas, en application de l'article L. 321-12
du code du travail, l'arrivée du terme du contrat constitue
un motif réel et sérieux de licenciement sans
qu'il soit besoin de mettre en place la procédure de
licenciement pour motifs économiques. Ces contrats
sont largement utilisés dans l'édition littéraire,
notamment pour la publication dencyclopédies
ou de dictionnaires qui nécessitent parfois un certain
nombre dannées de travail quil nest
pas possible de définit de façon précise
au moment du lancement du projet. Ils sont rarement utilisés
dans le secteur de laudiovisuel, alors quils sadaptent
tout à fait à la situation dun artiste
engagé pour une série. Le problème est
la encore le lien avec les Assedic (5).
Les décisions de la Cour de Cassation de novembre 2003
Le 26 novembre 2003, la Cour a rendu
trois arrêts dans lesquels elle a adopté une
position qui pourrait passer pour un revirement de jurisprudence.
Dans le premier arrêt (6).,
la cour énonce " quil résulte
de la combinaison des articles L. 122-1, L. 122-11, L. 122-3-10
et D. 121-2 du code du travail, dabord, que dans les
secteurs dactivités définis par décret
ou par voie de convention ou daccord collectif étendu,
certains des emplois en relevant peuvent être pourvus
par des contrats de travail à durée déterminées
lorsquil est dusage constant de ne pas recourir
à un contrat à durée déterminée
en raison du caractère par nature temporaire de ces
emplois, ensuite, que des contrats à durée déterminée
successifs peuvent être conclu avec le même salarié,
enfin que loffice du juge saisi dune demande de
requalification dun contrat à durée déterminée
en contrat à durée indéterminée,
est seulement de rechercher, par une appréciation souveraine,
si, pour lemploi concerné, et sauf si une convention
collective prévoit en ce cas le recours au contrat
à durée indéterminée, il est effectivement
dusage constant de ne pas recourir à tel contrat
; que lexistence de lusage doit être vérifiée
au niveau du secteur dactivité défini
par larticle D. 121-2 du Code du travail ou par une
convention ou un accord collectif étendu ".
La Cour de cassation conclut en énonçant quil
ressort des énonciations de larrêt de la
Cour dAppel que lemploi occupé par M. X
nétait pas de ceux pour lesquels il est dusage
constant de ne pas recourir à un contrat à durée
indéterminée dans ce secteur dactivité.
Dans cette première affaire, lemployeur faisait
valoir que le salarié qui exerçait la fonction
de formateur était engagé pour des missions
spécifiques, limitées dans le temps, quil
sagissait de prestations particulières mises
en uvre selon le cahier des charges précis déterminé
par lANPE.
La seconde affaire concernait un animateur de centre de vacances
et de loisirs (7).
La cour dappel avait requalifié les contrats
conclu à durée déterminée en contrat
à durée indéterminée en se fondant
sur le fait quelle occupait un emploi à caractère
permanent de lassociation. La Cour de cassation a considéré
que ce motif était inopérant que la Cour dAppel
aurait du " rechercher, si en ce qui concerne lemploi
de Melle X, il était dusage constant de ne pas
recourir à un contrat à durée indéterminée
dans ce secteur dactivité. " Dans cette
affaire, il nest donc pas impossible que la Cour dAppel
de Renvoi, tout en respectant la position de la Cour de Cassation
arrive à la même solution de requalification.
La troisième affaire (8)
concernait un réalisateur-producteur dune émission
religieuse diffusée sur la chaîne de télévision
France 2 le dimanche matin. La Cour dappel avait relevé
" que si la Société de Télévision
France 2 fait partie dun secteur dactivité
où lemployeur peut recourir à des contrats
à durée déterminée dit dusage,
encore faut-il quils ne soient pas utilisés pour
pourvoir des postes permanents de lentreprise et quen
lespèce dans les obligations qui sont imposées
à cette société nationale par son cahier
des charges figure celle de diffuser chaque semaine des émissions
à caractère religieux consacrés aux principaux
cultes pratiqués en France parmi lesquelles figure
lémission consacrée au culte musulman
qui était réalisée par M. X
, que
lemploi de réalisateur attaché à
cette émission permanente a nécessairement le
même caractère dautant plus que lintéressé
a occupé cet emploi pendant plus de six années
de sorte quil relève de lactivité
normale et permanente de lentreprise et quil ne
peut être pourvu que le cadre dun contrat à
durée indéterminée. "
La Cour de cassation censure cette décision. Elle considère
le motif de la Cour dAppel comme inopérant et
indique quelle aurait du " rechercher si, en
ce qui concerne lemploi de M. X
, il était
dusage constant de ne pas recourir à un contrat
à durée indéterminée dans ce secteur
dactivité ".
La encore, il sera intéressant de suivre la décision
prise par la Cour de renvoi qui risque de requalifier le contrat
en Contrat à durée indéterminée
en modifiant sa motivation.
Ces décisions peuvent paraître étonnantes
et on voit mal ce qui peut les motiver. Les tribunaux ne jugent
toutefois quen fonction des arguments qui ont été
défendus par les parties au cours de linstance.
La cour de cassation établit surtout dans ces arrêts
que le fait de conclure que lobjet du contrat est ou
non de ceux pour lesquels il est dusage constant de
ne pas recourir au contrat à durée indéterminée
relève de lappréciation souveraine des
juges du fonds.
En ce qui concerne les secteurs du spectacle et de laudiovisuel,
il existe en effet un accord interbranches qui a été
étendu par arrêt du 15 janvier 1999 et la position
de principe de la Cour de cassation énonce clairement
quelle ne sapplique quen absence daccord
collectif applicable.
Cet accord énonce que :
- "L'activité principale de l'entreprise qui
recours au CDD d'usage doit relever de l'un des secteurs cités
à l'article D. 121-2 du code du travail ;
- La mention d'un secteur d'activité à l'article
D. 121-2 du code du travail ne fonde pas à elle seule,
pour les entreprises de ce secteur, la légitimité
du recours au CDD d'usage ;
- Le CDD d'usage, comme tout contrat à durée
déterminée, doit être écrit ; il
doit en outre comporter la définition précise
de son motif.
- La succession de CDD d'usage d'un salarié avec le
même employeur sur plusieurs années ou plusieurs
saisons peut constituer un indice du caractère indéterminé
de la durée de l'emploi."
Larticle 3.3. de cet accord interbranches précise
en outre que :
" lemployeur qui engage un collaborateur dans
le cadre dun CDD dusage devra faire figurer sur
le contrat lobjet particulier de celui-ci, et justifier
du caractère par nature temporaire de cet objet, en
indiquant son terme, par une date ou lintervention dun
fait déterminé ".
Ces contentieux sont également tous antérieurs
à la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 (article
124) qui a modifié l'article L. 122-1 du code du travail
qui énonce désormais :
"Le contrat de travail à durée déterminée,
" quel que soit son objet ", ne peut avoir ni pour
effet, ni pour objet de pourvoir durablement un emploi lié
à l'activité normale et permanente de l'entreprise."
Ce rajout montre bien que cette disposition sapplique
à tous les contrats, quil sagisse de contrat
dusage ou non. Il nest donc pas sûr que
cette position de la cour de cassation ne soit pas déjà
dépassée par lévolution législative.
(1) Cour dappel de Paris, 18ème
Chambre, section C, arrêt du 21 juin 2000, n° 99/38427
; Cour dappel de Paris, 18ème Chambre, section
C, arrêt du 21 juin 2000, n° 99/38428.
(2) Articles L.122-1-1-3 et D.121-2.
(3) Convention collective nationale des
artistes interprètes du 30 décembre 1992 étendue
par arrêté du 24 janvier 1994.
(4) Cour de Cassation, Chambre sociale,
Audience publique du 6 mai 2002, n°00-44420.
(5) Les syndicats du spectacle sarc-boutent
à la défense des annexes 8 et 10 et sont passés
à côté de toutes les évolutions
du régime général qui intègre
depuis 1998 le fait que lon puisse travailler à
temps partiel tout en conservant ses indemnités chômages.
(6) Arrêt du 26 novembre 2003,
Chambre sociale, n° 01-44263.
(7) Arrêt du 26 novembre 2003,
Chambre sociale, n° 01-47035.
(8) Arrêt du 26 novembre 2003,
Chambre sociale, n° 01-42977.
(9) JoRF du 30 janvier 1999.
Article
publié dans La Lettre de Nodula de décembre
2003.
Droit de reproduction à usage commercial et professionnel
réservé.
Droit de reprographie aux fins de vente, de location, de publicité
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© Roland LIENHARDT - 2003
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